Ça fait pas mal de temps que je rêvais de lancer une instance PeerTube pour héberger des vidéos sur l’esprit critique qu’on peut voir sur Youtube, et qui pourtant sont en licence Creative Commons.

Sachant que la plateforme Youtube est loin d’être la plateforme parfaite selon moi (pistage, recommandations qui posent problème, censure abusive fréquente des ayants droit et parfois de trolls, …)

Maintenant, rentrons dans le vif du sujet : comment déployer une instance PeerTube sur son serveur ?

Avant propos

Par convention, j’utiliserai les notations suivantes pour signifier l’usage de la ligne de commande :

  • quand une commande commence par root>, il s’agit d’une commande à exécuter en tant que root
  • quand une commande commence par un user>, il s’agit d’une commande à exécuter en tant que user (ou l’utilisateur qu’on va créer plus bas pour faire les commandes classiques)
  • quand il est précisé @sauvegarde, la commande devra être exécutée sur la machine de sauvegarde
root> <MA COMMANDE AVEC L'UTILISATEUR ROOT>
user> <MA COMMANDE AVEC L'UTILISATEUR CLASSIQUE (NON-ROOT)>
root@sauvegarde> <MA COMMANDE À ÉXECUTER EN TANT QUE ROOT SUR LA MACHINE DE SAUVEGARDE>

Quel serveur prendre ?

D’après la FAQ de PeerTube, bien qu’il soit pas conseillé d’auto-héberger une instance PeerTube sur un Raspberry Pi derrière une ligne ADSL, un serveur n’a pas besoin d’énormément de ressource sauf si vous souhaitez utiliser la fonction de transcoding.

N’ayant pas la fibre chez moi, j’ai opté pour un serveur hébergé dédié à bas coût (on verra en fonction des besoins pour migrer vers un serveur plus puissant). Ne voulant pas faire de publicité encore moins sans avoir essayé, je tais mon choix :).

Néanmoins, je peux dire que j’ai choisi la distribution Linux Debian Stretch : ce choix ce justifie surtout par mon expérience avec cette distribution (je l’utilise au quotidien, au travail comme chez moi depuis de nombreuses années). Je me doute qu’une autre distribution fera très bien l’affaire :), mais les commandes qui suivent dans cet article seront spécifiques à cette distribution.

Choisir un nom de domaine

Si vous voulez faire partie du fediverse (fédération des instances de Peertube), il faut que vous preniez un nom de domaine. Les noms de domaines sont assez peu coûteux et valables à l’année, mais si vous souhaitez en disposer d’un gratuit, voici quelques-uns :

Comment faciliter le déploiement

Mon choix a été relativement simple : l’auteur et la communauté de PeerTube ont mis à disposition de quoi déployer la solution en production avec docker-compose.

Autre avantage : Docker-Compose facilite le déploiement mais aussi les backups des volumes (BDD, vidéos, etc).

Par ailleurs, docker-compose offre la possibilité d’isoler chacun des composants de l’application : le serveur web (NodeJS), la base de données (Postgres) et Redis.

Installations des pré-requis

Il vous faudra installer :

Pour lancer Docker, je recommande de le lancer sans passer par l’utilisateur root. Pour créer l’utilisateur qui s’en chargera, lancez la commande suivante :

root> sudo adduser user # remplacer user par ce qui vous plaît

Et pour le rajouter au groupe docker (et ainsi l’autoriser à lancer docker) :

root> sudo groupadd docker
root> sudo usermod -aG docker user # user est à remplacer

Récupérer le code source de Peertube

Maintenant nous devons récupérer le code source de PeerTube pour construire l’image Docker du serveur web et récupérer les fichiers dont nous allons nous inspirer pour construire les différents services :

Pour cette section, je m’inspire (avec quelques libertés) de la procédure mise à disposition sur le projet.

root> su - user # user à adapter
user> git clone https://github.com/chocobozzz/PeerTube $HOME/peertube
user> cd $HOME/peertube

Ensuite, créer une branche sur laquelle nous allons pouvoir tweeker des fichiers de configuration et récupérer les mises à jour au fur et à mesure :

user> git checkout -b myinstance origin/master

Personnaliser le fichier docker-compose.yml

Le fichier docker-compose.yml que nous allons éditer se trouve dans $HOME/peertube/support/docker/production/docker-compose.yml.

Rajouter un reverse-proxy

Le reverse-proxy permettra de récupérer les requêtes entrantes pour :

  • Sécuriser la connexion en HTTPS (avec letsencrypt dans notre cas) ;
  • Faire éventuellement de la répartition de charge entre nos instances (pour un besoin futur ?) ;

J’ai vu qu’il existait Traefik pour cela et je voulais voir ce qu’offrait cette solution (pour faire un peu de veille technologique).

Son utilisation semble simple et supporte de base letsencrypt !

Pour cela, il suffit d’éditer le fichier docker-compose.yml pour ajouter les lignes suivantes :


 services:

+  reverse-proxy:
+    image: traefik
+    command: --api --docker # Enables the web UI and tells Træfik to listen to docker
+    ports:
+      - "80:80"     # The HTTP port
+      - "443:443"   # The HTTPS port
+      - "8080:8080" # The Web UI (enabled by --api)
+    volumes:
+      - /var/run/docker.sock:/var/run/docker.sock # So that Traefik can listen to the Docker events
+      - ./support/docker/production/acme.json:/acme.json
+      - ./support/docker/production/traefik.toml:/traefik.toml
+    restart: "always"
+
   peertube:
     build:
       context: .

…

     labels:
       traefik.enable: "true"
       traefik.frontend.rule: "Host:${PEERTUBE_WEBSERVER_HOSTNAME}"
       traefik.port: "9000"
-    # If you don't want to use a reverse proxy (not suitable for production!)
-    # ports:
-      # - "80:9000"
+      traefik.frontend.redirect.entryPoint: https # Activate redirection from HTTP to HTTPS

Désactiver traefik pour postgres et redis en rajoutant la section suivante pour chacune :

+    labels:
+      traefik.enable: "false"

Et faire ces commandes pour créer le fichier acme.json qui va bien :

user> touch $HOME/peertube/support/docker/production/acme.json && chmod 600 $HOME/peertube/support/docker/production/acme.json

Et rajouter le fichier traefik.toml. Ce fichier doit contenir les entrypoints ainsi que la configuration pour activer Letsencrypt.

Voici ce à quoi pourra ressembler ce fichier (attention à bien adapter ce qui convient si vous le copiez) :

# Uncomment this line in order to enable debugging through logs
# debug = true
defaultEntryPoints = ["http", "https"]
[entryPoints]
  [entryPoints.http]
  address = ":80"
  [entryPoints.https]
  address = ":443"
    [entryPoints.https.tls]

# Enable ACME (Let's Encrypt): automatic SSL.
[acme]

# Email address used for registration.
#
# Required
#
email = "<MY EMAIL ADDRESS>"

# File or key used for certificates storage.
#
# Required
#
storage = "acme.json"
# or `storage = "traefik/acme/account"` if using KV store.

# Entrypoint to proxy acme apply certificates to.
# WARNING, if the TLS-SNI-01 challenge is used, it must point to an entrypoint on port 443
#
# Required
#
entryPoint = "https"

# Domains list.
#
[[acme.domains]]
  main = "<MY DOMAIN>"

# Use a HTTP-01 acme challenge rather than TLS-SNI-01 challenge
#
# Optional but recommend
#
[acme.httpChallenge]

  # EntryPoint to use for the challenges.
  #
  # Required
  #
  entryPoint = "http"

Modifier les variables d’environnement

Dans la section peertube: puis environment: se trouve plusieurs variables d’environnement. Ces variables d’environnement sont listées dans le fichier $HOME/peertube/support/docker/production/config/custom-environment-variables.yaml dans tout ce qui commence par PEERTUBE_. Ainsi je vous recommande de soit modifier et rajouter les variables d’environnement qui vont bien, soit de modifier le fichier production.yaml dans le dossier $HOME/peertube/support/docker/production/config/.

NB:

  • Pour rajouter un bloc de texte dans un fichier yaml, il suffit d’opter pour cette syntaxe :
  MA_VARIABLE: |
    mon long texte
    qui prend plusieurs lignes
  • Quelques variables qui sont utiles et manque de clareté sans le contexte :
    • PEERTUBE_TRANSCODING_ENABLED: active le transcodage. Il s’agit du support des résolutions plus faible (cela nécessite de la puissance du processeur et de l’espace disque) ;
    • PEERTUBE_INSTANCE_DESCRIPTION : la description de l’instance qu’on peut voir dans la section About de l’interface ;
    • PEERTUBE_SIGNUP_ENABLED : mis à true, on autorise les gens à se créer un compte sur la plateforme ;
  • Si vous modifiez la variable PEERTUBE_DB_USERNAME et PEERTUBE_DB_PASSWORD, n’oubliez pas tant pour le service peertube que pour celle de db

Lancer docker-compose

Lançons désormais docker-compose (le moment de vérité :D) :

user> PEERTUBE_WEBSERVER_HOSTNAME="<mon nom de domaine>" docker-compose -f support/docker/production/docker-compose.yml --project-directory . up

Si tout marche comme prévu, félicitations ! Maintenant il reste encore les sauvegardes à gérer.

Mettre en place les sauvegardes

Création du compte peertube_backup

J’utilise mon PC personnel qui va chaque jour faire une sauvegarde incrémentale tous les jours.

Dans un premier temps, il nous faut un utilisateur avec lequel on va opérer les sauvegardes régulières. Pour cela, il est préférable qu’il s’agisse d’un utilisateur autre que root ou celui qui fait tourner docker : nous allons lui fournir un système d’authentification par clé SSH sans mot de passe. C’est plus sûr.

En tant que root (renseignez les champs qui vont bien) :

root> adduser peertube_backup

Et renseignez les champs qui vont bien (dont le mot de passe).

Sur la machine de sauvegarde, en tant que root également (car cet utilisateur sera utile pour une tâche planifiée via cron, nous le verrons plus loin; attention: ne rentrez aucun mot de passe) :

root> mkdir -p ~/.ssh/
root> ssh-keygen -f ~/.ssh/id_rsa_backup_peertube
Generating public/private rsa key pair.
Enter passphrase (empty for no passphrase):
Enter same passphrase again:
Your identification has been saved in /root/ssh/id_rsa_backup_peertube.
Your public key has been saved in /root/ssh/id_rsa_backup_peertube.pub.
The key fingerprint is:
…

Enfin, ajoutons la clé sur le serveur (toujours depuis la machine de sauvegardes) :

root> ssh-copy-id -i ~/.ssh/id_rsa_backup_peertube peertube_backup@<MON SERVEUR>

Enfin, tentez une connexion pour voir si elle fonctionne bien :

root> ssh -i ~/.ssh/id_rsa_backup_peertube peertube_backup@<MON SERVEUR>

Si la connexion fonctionne sans demande de mot de passe, c’est gagné ! Passons maintenant à la sauvegarde de bases de données !

Export de la base de données

Dans un premier temps, il faut ajouter le mot de passe de l’utilisateur peertube dans un fichier .pgpass dans le docker :

user> docker exec -ti peertube_postgres_1 /bin/bash
root> echo "<MON MOT DE PASSE POSTGRES>" > "${HOME}/.pgpass"
root> chmod 0600 "${HOME}/.pgpass"
root> exit

Testons que l’appel à pg_dump fonctionne bien (ne rien taper au prompt du password, patientez juste quelques secondes) :

user> docker exec peertube_postgres_1 pg_dump -U peertube -W -h localhost -F c peertube 1>/dev/null && echo "OK"
password:
OK
$

Si le message OK apparaît, c’est tout bon, on peut passer à la suite !

Maintenant ajoutons le script /etc/cron.daily/backup_sql avec ce contenu :

#!/bin/bash

SQL_BACKUP_PATH="/home/peertube_backup/backups/sql/sql-peertube.bak"

docker exec peertube_postgres_1 pg_dump -U peertube -W -h localhost -F c peertube > "$SQL_BACKUP_PATH" && chown peertube:peertube "$SQL_BACKUP_PATH"

Et ajoutons les droits d’exécution sur ce fichier (en tant que root) :

root> chmod +x /etc/cron.daily/backup_sql

Et n’oublions pas de créer le dossier pour accueillir les backups :

root> install -d -o peertube_backup -g peertube_backup /home/peertube_backup/backups/sql

Planifier les sauvegardes

Sur le serveur Peertube, en tant que root, rajouter des liens symboliques pour rendre accessibles

root> ln -s /home/peertube/peertube/docker-volume/data /home/peertube_backup/backups/data
root> ln -s /home/peertube/peertube/docker-volume/redis /home/peertube_backup/backups/redis

Maintenant sur la machine de sauvegarde, s’assurer que rsync est bien installé :

root@sauvegarde> apt install rsync

Enfin, toujours sur la machine de sauvegarde, éditer le script de backup /etc/cron.daily/backup_peertube (vous pouvez vous en inspirer, le modifier en fonction de vos besoin) :

#!/bin/bash
BACKUP_MEDIA="/media/sauvegarde"
BACKUP_DIR_BASE="${BACKUP_MEDIA}/peertube"
MAX_RETENTION=60

# Handle any error while backuping, so we send mails to alert
# Inspired from: https://stackoverflow.com/a/185900
error() {
  local parent_lineno="$1"
  local message="$2"
  local code="${3:-1}"
  local mail
  if [[ -n "$message" ]] ; then
    mail="Error on or near line ${parent_lineno}: ${message}; exiting with status ${code}"
  else
    mail="Error on or near line ${parent_lineno}; exiting with status ${code}"
  fi
  echo "${mail}" | mail -s "Peertube daily backup alert" <MY EMAIL ADDRESS>
}

trap 'error ${LINENO}' ERR

# Ensure the media for backups is mounted
if ! grep -qs "${BACKUP_MEDIA}" /proc/mounts; then
  mount "${BACKUP_MEDIA}"
fi

# Remove oldest backup
rm -rf "${BACKUP_DIR_BASE}/backup.${MAX_RETENTION}"
for i in $(eval echo {"${MAX_RETENTION}"..2}); do
  source="${BACKUP_DIR_BASE}/backup.$((${i} - 1))"
  if [ -d "${source}" ]; then
    mv "${source}" "${BACKUP_DIR_BASE}/backup.${i}"
  fi
done

NEW_BACKUP="${BACKUP_DIR_BASE}/backup.0"

if [ -d "${NEW_BACKUP}" ]; then
  cp -al "${NEW_BACKUP}" "${BACKUP_DIR_BASE}/backup.1"
fi

for folder in data sql redis; do
  rsync -e 'ssh -i /root/.ssh/id_rsa_backup_peertube' -av --delete "peertube_backup@<MY SERVEUR>:~/backups/${folder}/" "${NEW_BACKUP}/${folder}"
done

Important :

  • Pensez bien à remplacer l’email et surtout à adapter la variable BACKUP_MEDIA

NB :

  • Pour en savoir plus sur le fonctionnement du script, je vous invite à lire cet article en anglais (duquel je me suis inspiré) ;
  • dans le script ci-dessus, je m’envoie un mail en cas d’erreur de backup. Pour cela, j’utilise ssmtp, qui permet d’envoyer simplement des mails en s’authentifiant auprès d’un fournisseur (d’un serveur SMTP plus techniquement). La doc d’Ubuntu-fr explique comment faire très simplement.

Comme précédemment pour l’autre script cron, changer les droits sur ce fichier :

root@sauvegarde> chmod +x /etc/cron.daily/backup_peertube

Et de créer le répertoire qui contiendra vos sauvegardes (le chemin est à adapter) :

root@sauvegarde> mkdir /media/sauvegarde/peertube

Caractéristique

La généralisation abusive survient quand on tire une conclusion d’une population non représentative (trop petite, trop spécifique, …).

Exemples (fictifs) 1

(Évidemment exagérés)

  • « Mon grand-père qui est diabétique est sourd. Donc le diabète rend sourd ! » 2
  • « 72% de la population Française croit en Dieu » — D’après un sondage réalisé à Lourdes

Conseil

Rappeler qu’une expérience isolée ne démontre rien. Une population large et représentative est nécessaire (tirée au sort, …). Avec cette population, une étude statistique doit être faite et la conclusion liée à cette étude doit être raisonnable.

  1. Si vous avez des exemples concrets qui vous viennent en tête, n’hésite pas à partager 

  2. À rapprocher du sophisme Cum hoc ergo propter hoc 

Homéopathie : Plaidoyer Pour Une Critique Rationnelle

L’homéopathie et la France est une grande histoire d’amour. La France est une des plus grandes consommatrices et productrices de cette médecine « douce » (merci Boiron !).

Cocorico !

C’est ainsi que sans fondement aucun, de plus en plus de Français en consomment (oui, rappelons la nature de cet acte : consommer).

Ce plaidoyer a pour but de revoir certains arguments véhiculés tant par ceux qui ont des intérêts à le défendre que par les consommateurs eux-mêmes, convaincus par ses effets ou ses vertus. Concernant les supposés effets propres à l’homéopathie, je vous invite à lire l’article d’Elzen avec qui j’ai eu l’idée de traiter du sujet.

Dans cet article, nous allons plutôt traiter des arguments fallacieux montrant les soi-disant vertus face à l’allopathie ou Big Pharma. Mais aussi, nous reviendrons aux arguments réfutant supposément l’homéopathie.

Alors, non, je ne représente pas « Big Pharma » (plus précisément, je n’ai aucun lien avec l’industrie pharmaceutique). Oui, ces entreprises ont des choses à se reprocher.

Mais… Quel est le visage de Big Pharma ? Ou, pour repréciser le propos, qui met-on derrière l’opaque terme « Big Pharma » ? Wikipédia nous redirige vers son article du Lobbying pharmaceutique. Elle s’immice lors des débats politique et influence les acteurs de santé notamment au cours de formations professionnelles. Nous y reviendront, gardons cette définition en tête.

Oui, le débat peut vite être houleux entre les professionnels de santé, les chercheurs des domaines impliqués (physique, chimie, biologie, santé, …), les représentants de l’industrie pharmaceutiques et les journalistes aux milieux de tout ça… Même jusqu’aux individus « lambda » dont l’auteur de ces lignes fait partie (« lambda » = « ne fait partie d’aucune de ces catégories »). Tout en étant une de ces personnes « lambda », on peut se construire une réflexion saine et constructive, c’est ce qu’Elzen et moi-même tentons de faire au travers de nos articles respectifs.

Ce qui suit vise à revenir sur les arguments d’apparence logique mais visant à tromper, aussi appelés arguments fallacieux ou sophismes.

Mais d’abord, puisque le titre parle bien d’une critique rationnelle, je vous propose de revenir un peu sur celles des sceptiques (dont je fais partie, cela n’échappera pas au lecteur attentif ;)).

Les arguments fallacieux des sceptiques

L’homéopathie n’est pas Boiron, Boiron est de l’homéopathie

Bien que Boiron pratique la vente de produits homéopathiques et en sont les leaders dans le monde, ils ne sont pas les seuls sur ce marché.

Il y a aussi le fait que certains praticiens de l’homéopathie dénigrent Boiron au motif qu’ils proposent une préparation générique alors que l’Homéopathie suppose l’individualisation : un patient doit être pris en charge par un médecin homéopathe qui prescrira la solution en fonction de ce qu’il en ressortira de la consultation.

Le sceptique averti notera de son côté que cette démarche aura un impact positif sur l’effet placebo.

« L’homéopathie, ça ne fonctionne pas, c’est prouvé »

C’est par exemple à peu près ce qu’a titré le Figaro dans cet article : « Un rapport démontre l’inefficacité de l’homéopathie ».

Précisons : le titre de l’article est faux, car l’homéopathie marche… Avec une efficacité identique à celle d’un placebo. Mr Sam l’explique très bien dans une de ses vidéos.

Mais même si on reformule : « On a démontré que l’homéopathie n’a pas d’effet propre », l’argument est faux.

Alors, d’où vient l’argument moisi ici ?

Il est subtile, mais la formulation ici est importante, sur la partie « On a démontré que ». Si on reformule ainsi :

Personne n’a pu démontrer en 200 ans que l’homéopathie a une efficacité meilleure que celle d’un placebo.

Alors, le propos est juste, mais il convient de rajouter ceci pour enlever toute ambigüité :

Il est alors plus raisonnable de croire qu’il ne s’agit rien de plus que d’un placebo (après 200 ans d’existence de la pratique).

Ainsi, le propos précédent supposait qu’il incombait aux sceptiques d’apporter la preuve de sa non-efficacité, ce qui revient à se tirer une balle dans le pied pour eux : il entraîne une inversion de la charge de la preuve (on y reviendra plus longuement plus loin, dans les arguments des partisans).

Il serait alors possible d’objecter que rien ne prouve son inefficacité parce que ci ou ça (placer tout argument ad hoc ici), puis de suggérer qu’il est raisonnable d’y croire.

Dans le second cas, même si la formulation est plus lourde, nécessite une explication, elle est juste. Si quelqu’un objecte, on peut rétorquer onus probandi, ou encore citer Euclide :

« Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve ».

Mais la méta-analyse citée précédemment dans l’article du Figaro et dans cette section sur l’homéopathie de Wikipedia s’intéresse malgré tout au sujet au vu de la popularité de la pratique, a fait l’analyse de 225 études à ce sujet (!). La conclusion est sans appel :

Aucune étude crédible n’a pu démontrer que l’homéopathie améliorait mieux l’état d’un patient qu’un placebo

Conclusion sage, comme nous venons de le voir à l’instant :).

Les arguments fallacieux des partisans

« C’est mieux que la surmédicammentation, Big Pharma c’est du poison »

On nous présente là un nouveau débat (différent de l’original, à savoir « L’homéopathie marche-t-elle ? »), où notre interlocuteur nous demande de prendre position :

  • Est-on d’accord avec la pratique de l’homéopathie ?
  • Est-ce qu’on cautionne que les Français doivent se rapatrier sur des médicaments aux effets secondaires dangereux, et être à la merci de Big Pharma ?

Il s’agit d’un classique faux dilemme accompagné d’un chiffon rouge. Il peut parfois être teinté d’un appel aux conséquences.

  • Le faux dilemme

George W. Bush Cet argument fallacieux impose à l’adversaire de prendre position. Un peu comme George W. Bush quand il disait :

Ou vous êtes pour la guerre en Irak, ou vous êtes pour les terroristes.

Évidemment, quand on nous pose les deux questions ci-dessus, surtout la seconde, on nous force à prendre une des deux positions, alors qu’il existe peut-être d’autres positions à tenir. Par exemple, on peut supposer que ne pas prendre de l’homéopathie nous forcera pas à prendre des médicaments « allopathiques ».

Ainsi, pour un rhume, il n’est pas nécessaire de prendre des médicaments, on peut se contenter d’attendre un peu que l’on guérisse sans intervention.

On peut aussi très bien vouloir laisser les gens libres d’acheter de l’homéopathie ou de consulter les médecins homéopathes, mais en tenant à ce qu’ils le fassent en connaissance de cause.

  • Le chiffon rouge

Sophisme qui vise à dériver le débat vers un autre sujet. Schopenhauer nous en livre une petite explication ici :

Lorsque l’on se rend compte que l’on va être battu, on peut faire une diversion, c.-à-d. commencer à parler de quelque chose de complètement différent, comme si ça avait un rapport avec le débat et consistait un argument contre votre adversaire. Cela peut être fait innocemment si cette diversion avait un lien avec le thema quæstionis, mais dans le cas où il n’y a pas, c’est une stratégie effrontée pour attaquer votre adversaire.

Vous pouvez lire la suite sur le wikisource.

  • L’appel aux conséquences

Rappelons le sujet du débat : l’efficacité supposée de l’homéopathie. Ici, le sophisme tente de prouver que l’homéopathie fonctionne à cause de ce que cela impliquerait dans le cas contraire. C’est évidement fallacieux.

Un peu comme si nous disions : « Le réchauffement climatique n’existe pas, sinon nous devrions tous arrêter de circuler en voiture ».


Revenons un peu sur ce que nous appelons Big Pharma : la définition originale désigne le lobby pharmaceutique pour influencer les praticiens et les politiques dans le débat public.

Bien que peu visible, il faut quand même savoir que le lobby homéopathique est présent. Ainsi, des produits homéopathiques et les consultations de médecins homéopathes sont remboursés (certes partiellement, mais ce sont les seuls médicaments à bénéficier d’une dérogation d’autorisation de mise sur le marché).

Big Pharma ne semble pas se limiter à l’allopathie.

« La science n’explique pas tout »

Cette rhétorique, on peut l’entendre dans le discours du professeur Luc Montagnier dans cet extrait du documentaire « L’homéopathie : mystère et boules de sucre » diffusé sur France 5.

La science n’explique pas tout. Oui, on l’entend souvent, et on peut même se retrouver à ne rien à rétorquer contre ce discours.

Car c’est vrai.

Bon nombre de faits ne sont pas expliqués. Cela va de la chose la plus banale en apparence, comme « pourquoi les zèbres ont eu des rayures » (ou pour être plus juste : « par quel avantage sélectif ont-ils obtenus cette caractéristique ? », c’est ce qu’explique Dirty Biology) au fonctionnement de l’effet placebo / nocebo (je vous renvoie à l’excellent article d’Elzen).

Maintenant quand l’interlocuteur utilise cet argument pour avancer sa théorie, il y a anguille sous roche… même « baleine sous graviers ».

C’est souvent ainsi que, la théorie de la mémoire de l’eau est avancée pour expliquer l’homéopathie.

Et là, on se retrouve avec deux erreurs argumentatives :

  • La pétition de principe

On cherche à expliquer un phénomène non avéré. Je vous renvoie à l’histoire de la dent d’or de Fontenelle (ou encore de l’excellente vidéo d’Hygiène Mentale à ce sujet). Par cette histoire, Bernard Le Bouyer de Fontenelle donne le conseil suivant :

Assurons-nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause.

Donc non seulement le fait n’est pas prouvé (l’hypothèse à prouver pour rappel : « l’homéopathie a des effets qui lui sont propres »), mais les théories pour tenter de les expliquer n’ont peu de valeurs de fait (comme la mémoire de l’eau).

  • L’appel à l’ignorance

Aussi appelé inversion de la charge de la preuve, car elle suppose que nous ne pouvons pas réfuter une théorie.

C’est un des sophismes les plus condamnables quand il est utilisé à des fins manipulatoires (marketing, sectaire, pseudo-scientifique, …). C’est un peu la boîte de pandore du rationalisme. Si on admet des théories basées sur l’ignorance, on admet TOUT.

Par TOUT, on comprend vraiment n’importe quoi. L’histoire de la théière de Russell, du dragon dans le garage de Carl Sagan et Ann Dryuan, et tant plein d’autres.

NB : ces deux histoires ci-dessus sont énoncées par des rationalistes souhaitant illustrer l’absurdité de l’inversion de la charge de la preuve. Elles sont amusantes :).

Illustration de la théière cosmique de Bertrand Russell

Pour la sauver de ces aberrations, la personne sceptique utilisera le rasoir d’Occam (ou le principe de parcimonie).

Les entités ne doivent pas être multipliées par-delà ce qui est nécessaire.

J’en ferais sans doute un article particulier sur le rasoir d’Occam ainsi que sur le critère de réfutabilité (proposé par Karl Popper). Ce sont de simples, puissants et précieux outils pour un bon esprit critique.


Pour conclure sur cet argument, citons la conclusion de De Fontenelle à propos de l’histoire de la dent d’or :

Rien n’est plus normal que d’en faire autant sur toutes sortes de matières.

Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison.

Cela veut dire que non seulement nous n’avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d’autres qui s’accommodent très bien avec le faux.

Autrement dit, observons et seulement ensuite théorisons.

C’est le principe de base de la zététique soit dit en passant : on suspend notre jugement, on observe. Si on arrive à expliquer un phénomène avec nos connaissances actuelles, il n’est point utile d’en ajouter de nouvelles (rasoir d’Occam).

Mais théoriser pour expliquer ce qui n’est pas est naturellement vain.

« Les professionnels de santé et de nombreux français en consomment »

Cette rhétorique, on peut l’entendre dans le discours de Thierry Boiron et d’un médecin homéopathe dans cet extrait du même documentaire que précédemment.

Hé oui, de plus en plus de Français croient en l’homéopathie, et l’utilisent (ou devrais-je dire en consomment).

On peut même argumenter en disant que c’est reconnu par l’Ordre des médecins et que c’est enseigné à l’Université. Que c’est remboursé par l’assurance maladie (certes, à auteur de 35% contre 65% en 2003).

Alors que rajouter de plus pour convaincre de l’efficacité de l’homéopathie ?

La réponse est simple : des arguments, simplement. Car ceux-là sont n’ont que peu de valeur.

On use ici de deux arguments fallacieux :

  • Le recours à l’autorité

En invoquant la reconnaissance par l’Ordre des Médecins, on peut croire que les médecins statuant sur la mise sur le marché ont étudié le sujet.

Déjà ce serait nier l’existence de la dérogation existant pour cette pratique, mais aussi ce serait nier l’existence des études scientifiques à ce sujet (nous l’avons vu précédemment).

Et se contenter de cette affirmation est aussi fallacieux : car il consiste à détourner l’audience de la valeur du propos (« l’homéopathie marche ») vers son origine (« c’est évident par la/les personne(s) qui le dise(nt) »).

L’argument d’autorité a cependant plus de valeur quand nous ne sommes pas experts d’un sujet et qu’un consensus existe sur une théorie avec preuves ou études (revue par les pairs) à ce sujet. Et la dérogation casse la valeur de cet argument ici.

Ou même la raison de la majorité si l’interlocuteur invoque le fait que la plupart des Français l’utilisent et y croient.

Il s’agit d’un argument fallacieux évidemment, une déclinaison de l’argument précédent, sauf qu’ici l’autorité est l’avis majoritaire ;).

Au moyen-âge, ne croyait-on majoritairement pas que la Terre était le centre de l’univers ?

Autre contre-exemple notable : le cas de Barry J. Marshall face à cet argument. Ce médecin avait pour théorie que la plupart des ulcères venaient d’une bactérie, théorie ridiculisée à l’époque par la communauté médicale. Devant un tel mur, il se laissa pas démonter et prouva d’une manière suprenante son hypothèse. Plutôt que de m’étaler sur le sujet, je vous laisse consulter l’article Wikipedia à ce sujet ;).

Alerte précision : attention au syndrome Galilée ou « personne ne me croit et pourtant j’ai raison ». Ces deux personnes ont réussi à faire reconnaître leur théorie appuyée d’arguments, et ce syndrome est loin d’être la preuve que celui qui se dit en être victime a raison.

« L’homéopathie est une médecine naturelle »

Bon nombre de sites commerciaux (celui-ci ou encore celui-là, ce denier ayant été épinglé par Que Choisir) ou de blogs vantent le côté naturel de l’homéopathie. D’ailleurs, l’illustration de ce billet est un petit clin d’œil à ce sophisme : l’appel à la Nature ;).

Allégorie de l'appel à la nature Crédit : La théière cosmique, source

C’est bigrement fallacieux, car :

  • Que nomme-t-on quelque chose de naturelle ou qui ne l’est pas ? La définition est très très floue…
  • Ne trouve-t-on pas des produits toxiques (comme certaines amanites ou l’Uranium) ou polluants (le méthane rejeté par les bovins) parmi les choses dites « naturelles » ? (si on s’accorde sur le fait que les champignons, l’Uranium et les flatulences de bovins puissent être désignées comme telles)

Pourtant, on retrouve beaucoup dans la rhétorique des personnes convaincues par les médecines alternatives l’aspect écologique et saine. Mais ces contre-exemples sus-cités ne sont pas les seuls. Dans les deux cas, c’est la dose qui fait le poison / polluant.

Pour en revenir à l’homéopathie, si tant est que la nature fallacieuse de l’argument vous convainc pas (jeu de mots assumé ;)), voici certains produits qui pourront sans doute vous faire douter qu’il ne tient pas la route :

Et quelques autres sont listés dans l’excellent cours de Richard Monvoisin à la diapo 49.

Réjouissons-nous d’une chose : Boiron ne semble pas user de cet argument sur leur site :).

« L’individualisation n’est pas/mal prise en compte dans les études »

Si, ils ont été menés entre 1937 et 1939 pour le Ministère de la Santé allemand (source : l’article d’Elzen à ce sujet lui-même sourcé).

« Luc Montagnier, Prix Nobel de physiologie ou de médecine, affirme pourtant que ça marche »

Oui, Luc Montagnier est co-lauréat du prix Nobel pour la découverte du VIH (le virus à l’origine du SIDA).

Cependant, Luc Montagnier est loin de faire le consensus sur ses études de la supposée mémoire de l’eau censée expliquer l’homéopathie.

L’utiliser à des fins de preuve n’est ni plus ni moins qu’un argument d’autorité illégitime (car il n’apporte pas la preuve de ce qu’il avance).

« L’homéopathie existe depuis 200 ans »

Cet argument n’est ni plus ni moins qu’un appel à la tradition.

C’est pas parce qu’une technique, une pratique existe depuis de nombreuses années qu’elle est meilleure que les nouvelles. Sinon l’être humain serait resté à 4 pattes, ou encore on en serait resté avec la science décrite par Aristote :)…

NB : et inversement, une technique n’est pas non plus meilleure juste parce qu’elle est plus récente (appel à la nouveauté)

Comment construire une réflexion saine sur le sujet

OK, mon titre de billet parle d’une critique rationnelle, mais jusqu’alors fait l’état de ce qui ne l’est pas.

Nous l’avons vu au fur et à mesure de l’article, mais résumons en quelques mots comment on peut critiquer (i.e. juger en bien ou en mal) une théorie :

  1. Est-elle réfutable ? Sinon, il s’agit d’une croyance, la science n’a pas vocation à les étudier (et on ne peut pas obliger les gens à y croire)
  2. Une étude sérieuse, revue par les pairs et sans conflit d’intérêt conclue-t-elle à l’existence du phénomène que la théorie explique ? Sinon, il est plus sage de s’abstenir d’y croire en attendant
  3. Si l’étude conclut à l’existence du phénomène, peut-on l’expliquer par d’autres théories déjà éprouvées ? Si oui, il convient d’appliquer le Rasoir d’Occam ou le principe de parcimonie. Sinon, on peut partager son expérience avec d’autres et apporter d’autres problèmes que la science devra expliquer

Concernant le point 2, les zététiciens sont cools à ce sujet. Par exemple, l’Observatoire Zététique propose de mettre en œuvre des protocoles visant à affirmer ou infirmer un phénomène réputé inexplicable.

La démarche de la zététique (ou l’« art du doute méthodique ») est saine et vous avez ici un très bref aperçu de ce qu’elle est. Je reviendrai sans doute dessus dans un nouvel article dédié car le sujet est vaste, les ressources à ce sujet aussi.

Conclusion

Nous l’avons vu, de nombreux arguments fallacieux sont véhiculés. Prenons consciences de plusieurs choses :

  • Si la plupart des arguments fallacieux sont dans le camp des homéopathes dans cet article, peut-être est-ce dû à mon côté sceptique ;
  • Mon but n’est évidemment pas d’être exhaustif, ça serait vain ;
  • Si l’usage des sophismes sont révélés, parfois dénoncés, prenons garde à ne pas juger la personne en elle-même ou à la dénigrer ;

Ce dernier point est très important. Nombre de fidèles de l’homéopathie ont des qualités, que ce soit des médecins compétents et dévoués, ou de personnes de notre entourage dont on peut déceler parfois des qualités rares.

Il y a aussi le fait que ces arguments sont véhiculés, donc sortie de la bouche d’une personne n’en fait pas d’elle nécessairement l’auteur.

Enfin, si malgré tout on en venait à faire ça, ne devrait-on pas se condamner nous-mêmes pour s’être laissé aller à un sophisme dans un débat houleux par le passé ?

Le but de cet article est de donner des outils pour un débat sain. Que vous soyez sceptiques ou convaincus, prenez le temps de peser de la valeur argumentative des propos tant tenus par les autres que par vous. Chose qui n’est pas aisée, même pour l’auteur de ces lignes, ce qui est une bonne raison pour être humble.

Oui, le titre de ce blog est le plaidoyer pour une critique rationnelle. Peut-être devrait-on rajouter « avec bienveillance » ;).

Pour aller plus loin

Je vous place quelques ressources si vous souhaitez creuser le sujet :